Archives de 30 November 1999

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   Ceci n’est pas un billet d’hommage à David Bowie. Parmi les mots qui suivent il n’y en aura pas que d’autres n’ont déjà mieux écrit et prononcé à son égard. Il est très difficile, sinon impossible, de dire ou d’écrire quelque chose de meilleur ou de différent à son propos. En plus, à l’heure qu’il est, lire, regarder et écouter tout ce qui a été produit à propos de David Bowie depuis la mort de David Robert Jones, le 10 janvier, prendrait plus de temps que d’écouter son entière discographie. Ce serait illusoire de vouloir le faire, un peu comme si on voulait compter et reconnaître les étoiles lors d’une nuit qui les offre, toutes, à notre vue.

Les textes qui racontent l’extraordinaire talent de David Bowie pour s’inventer, pour mettre en scène ses personnages, les sacrifier et les réinventer pour se métamorphoser à nouveau s’additionnent presque à l’infini. Souvent, ils sont l’œuvre des meilleures plumes, de profonds connaisseurs de l’artiste et de son œuvre. Descriptions, récits, témoignages, aspects biographiques ; vieilles interviews, analyses de musiques et de textes; explications de symboles, une pléthore d’anecdotes. Il y a aussi les innombrables mots des fans, des amateurs, de ses adeptes. Rien ne manque et pendant le temps à venir il y en aura encore. Et encore plus. Seul le temps pourra déterminer la limite à la quantité d’informations qui pourront être produites ou acquises à propos de David Bowie.

La valence testamentaire de ★ – Blackstar – a été aussi soulignée et mise en lumière, comme si le dernier album était une manière pour David Bowie de tirer sa révérence et dire ‘goodbye’. Ziggy Stardust, Alladin Sane, Thin White Duke, le détective Nathan Adler. Il ne restait qu’un seul personnage crée par David Bowie qui pouvait être sacrifié par David Bowie sur l’autel de sa carrière artistique et seule la mort de David Robert Jones pouvait le lui permettre: celui de David Bowie lui-même.

C’est comme si David Bowie avait su anticiper et orchestrer le big-bang médiatique provoqué par sa mort ; comme s’il avait pu observer à l’avance la tempête planétaire déchaînée par la mort de David Bowie, par cet ultime sacrifice de l’unique personnage qui englobe tous les autres qu’il a créé et que seule sa mort –ou le décès de David Robert Jones- pouvait lui octroyer d’exécuter. Blackstar apparaît donc aujourd’hui comme un requiem : le requiem écrit par David Bowie pour la mort de David Bowie lui-même.

Tandis que les médias, les nouveaux médias et les réseaux sociaux additionnent et superposent les informations lors d’énormes tempêtes médiatiques provoquées par la mort de célébrités telle que celle de David Bowie, David Bowie –ou mieux David Robert Jones- a su créer, à l’heure de sa mort, à la fois la musique, les textes, un symbole et une icône finale qui conçoivent et constituent un espace qui synthétise la naissance, la vie, l’œuvre et la mort de David Bowie. Alors que des millions de particules d’informations qui lui sont consacrées se dispersent dans un espace médiatique indéfini, David Bowie a créé un univers matérialisé entre autres par imablackstar qui les englobe et les réunit symboliquement dans un espace qui lui appartient et qui donne accès à l’univers de David Bowie.

Comme dans un univers composé de miroirs qui réfléchissent la lumière à l’infini produisant l’aveuglement et comme dans l’univers où seul le noir absolu permet à la lumière de voyager et de briller, le sacrifice de David Bowie par David Bowie a permis a David Robert Jones, charnel et mortel, de projeter son unique et son ultime personnage dans l’immortalité. Ainsi, David Bowie a agi tel un ‘magus’, tel un ‘black magician’: créant l’œuvre qui clôt son œuvre, définissant ainsi un espace où dès la dernière note de Blackstar, après le silence de la morttoute la musique de David Bowie pourra être jouée et jouée sans fin.

Un univers où la lumière de millions de millions de fragments d’informations touchant David Bowie donnent forme à des étoiles qui illuminent son étoile noire; le symbole -le sien- qui absorbe la lumière, tel un trou noir illuminé qui engloutit tout et qui -pour briller- s’approprie de tout ce qui touche à David Bowie. Même des billets anonymes perdus dans une infinie tempête médiatique qui ne prétendent pas lui rendre hommage. Au fond, ceci voulait être en principe un hommage à David Robert Jones, mais David Bowie m’a eu. ♦